La coopérative des élus

Communistes Républicain.e.s & Citoyen.ne.s

Philippe Rio, président de la coopérative de élus Communistes Républicain.e.s & Citoyen.ne.s.

Entretien au magazine « Cause commune n° 32 • janvier/février 2023​ »

Propos recueillis par Nicolas Tardits

L’Association nationale des élus communistes et républicains, réunie en congrès du 3 au 5 novembre à Montreuil, fait officiellement peau neuve en se rebaptisant la Coopérative des élus communistes républicains et citoyens. Philippe Rio, maire de Grigny, succède à Ian Brossat pour présider cette nouvelle structure aux objectifs clairs et ambitieux.

CC : Maire de Grigny et désormais président de cette « Coop » qu’est-ce qui a motivé votre nouvelle prise de responsabilité ?
C’est un prolongement de mon engagement militant : être utile et faire du commun. Je suis comme beaucoup un enfant du communisme municipal. Enfant de Grigny, mon engagement a débuté contre les expulsions locatives dans mon quartier de la Grande Borne. Puis, j’ai commencé à militer au Parti communiste français aux côtés des plus anciens qui m’ont tout appris à la lueur de leur expérience militante. Je suis ainsi devenu conseiller municipal en 1998 à 24 ans puis adjoint à la jeunesse et premier adjoint et enfin maire de Grigny en 2012. Comme beaucoup d’élus communistes, ce n’est pas forcément le fruit d’une ambition. Disons que la politique et l’engagement municipal m’ont choisi !
Pour être honnête, je n’avais pas du tout prévu ni ambitionné d’être président de la Coop. Les instances du Parti m’ont proposé de soumettre ma candidature à notre dernier congrès lors duquel j’ai été élu aux côtés de Cécile Cukierman, sénatrice de la Loire, comme secrétaire générale, et de Michel Lebouc, maire de Magnanville, comme trésorier. Cette direction collégiale va être complétée lors d’un prochain conseil d’administration.
De nombreux camarades m’ont plus largement poussé à prendre la tête de l’association. Et j’imagine que le titre de « meilleur maire du monde » peut servir de dynamique notamment au regard d’une certaine notoriété médiatique dont je bénéficie. J’ai accepté cette nouvelle responsabilité principalement pour une raison : l’objectif des élections municipales de 2026. Nous devrons y gagner du terrain, des nouvelles municipalités et je veux me mettre au service de ce combat collectif.

« Là où la crise de confiance et la crise démocratique n’ont jamais été aussi fortes, il nous appartient de valoriser nos expériences gagnantes et d’élaborer un récit positif à regagner. »

Je crois aussi que nous devons lutter contre le localisme qui est un parent du nationalisme et une béquille du capitalisme. Quand des collectivités agissent en développant des énergies renouvelables, elles pensent locales et agissent global. Local et national ne doivent pas être pensés séparément, même dans notre culture profondément jacobine. Il y a un lien entre le local et le national. Et c’est ce message que nous voulons porter.

CC : La crise énergétique frappe de plein fouet les collectivités au point que certaines villes ne savent toujours pas comment régler leurs factures. En première ligne, les collectivités peuvent-elles encore faire face à cet étranglement ?
Pour la première fois, et alors que la préparation des budgets locaux a commencé, les élus sont gagnés d’un doute profond : va-t-on être en capacité de boucler nos budgets pour l’année 2023 ?
Autrement dit, sous peine de mettre la clé sous la porte, va-t-on devoir fermer nos écoles cet hiver ? Va-t-on devoir cesser de servir nos enfants dans les cantines ? Les collectivités connaissent en effet une augmentation comprise entre 30 et 300 % des coûts de l’énergie. Et les mesures de compensation du gouvernement ne répondent que de manière très partielle à cette hausse vertigineuse et pas pour toutes les collectivités. De nombreuses communes et intercommunalités ont déjà cessé d’ouvrir des piscines et des patinoires. Demain, jusqu’où devra-t-on aller ?

« Nous avons mis en place des collectifs de travail, ouverts et aptes à constituer des groupes d’appui et d’expertise juridiques, techniques, administratifs, économiques, financiers, politiques, qui redescendront à travers les territoires comme des boîtes à outils du quotidien. »

Les conséquences de l’ouverture au marché de biens essentiels comme l’électricité et le gaz représentent une entrave essentielle à la liberté et à la capacité d’action des services publics locaux. Pourtant, face à la crise, nos collectivités sont reconnues utiles par nos concitoyens. Elles constituent des boucliers du pouvoir d’achat, tout autant que des précurseurs de la planification écologique. Alors pourquoi limiter encore plus leurs marges de manœuvre, à coups de contrats de « confiance » qui s’apparentent, plus qu’autre chose, à des 49.3 de la recentralisation ?
Nous proposons également l’organisation d’une grande rencontre de l’écologie et des biens communs en France, pour créer une alliance de l’eau et de l’énergie et rassembler ainsi toutes celles et tous ceux qui construisent des alternatives locales. La souveraineté énergétique passe par la sortie des biens communs des griffes du marché.

CC : Quarante ans après les premières lois de décentralisation comment réécrire aujourd’hui les rapports entre l’État et les collectivités locales ?
C’est en effet la question clé. Les lois dites Defferre et Le Pors, qui initient concomitamment la décentralisation et la création de la fonction publique territoriale, ont été lancées sous le prisme de nouvelles avancées démocratiques à gagner. Quarante ans après, plutôt que d’anniversaire, parlons de marche funèbre de la décentralisation. Le glas a sonné quand Nicolas Sarkozy a voulu opposer les territoires aux « pôles et aux réseaux ». C’est la première fois que l’on a pensé aménagement du territoire et conduite des services publics locaux en regardant vers l’extérieur, c’est-à-dire en dehors et sans celles et ceux qui habitent ces territoires ou y travaillent. Cela a constitué un formidable recul démocratique au profit de la technocratie et des grandes multinationales qui s’approprient les biens communs et des délégations de services publics. C’est un néolibéralisme autoritaire, qui a été ensuite corroboré par l’ensemble des lois ayant trait aux collectivités territoriales, à l’aménagement du territoire ou même au logement.

« Aujourd’hui, les collectivités agissent en remunicipalisant les biens communs(eau, énergie, transports en commun) face aux multinationales prédatrices. Pour aller au bout de ce mouvement, nous appelons à constitutionnaliser l’accès, et donc le droit, à ces biens communs. »

Pour ces « 40 ans », le congrès de l’ANECR, devenue coopérative, a proposé des nouveaux états généraux de la décentralisation et des solutions des territoires en 2023. Au lieu de restreindre les marges de manœuvre des collectivités, nous proposons de libérer leur capacité à agir et de décupler leur appétence à innover.
Comme il y a quarante ans, c’est sous le prisme de nouvelles avancées démocratiques que doit être construite cette nouvelle décentralisation. Aujourd’hui, là où le néolibéralisme a fragilisé nos institutions et rendu flou le processus électif, la démocratie du coin de la rue a quelquefois pris le relais : du groupe Whats­App au bas d’immeuble, avec, ou sans les collectivités locales. Cette démocratie participative a su aussi parfois débusquer et remettre en cause les logiques d’un système où les mécanismes inégalitaires d’accumulation de richesses ont dépossédé les classes sociales travailleuses de tout pouvoir économique et démocratique, jusqu’à nous gouverner presque de l’extérieur comme je l’ai expliqué plus haut.

« Les élections municipales de 2026 sont un défi pour notre famille politique. »

Il faut aujourd’hui constitutionnaliser la démocratie participative, l’intervention citoyenne et son évaluation des politiques publiques. C’est la première étape d’un processus qui peut être appelé « planification démocratique » et qui appelle à libérer la capacité d’action citoyenne notamment au regard des grands enjeux actuels comme la crise climatique. À ce sujet, le GIEC estime que les actions à mener sont à 50 % de la responsabilité des villes et à 50 % de la responsabilité des gouvernements. Et nos concitoyens ne s’y trompent pas. 53 % des Français font ainsi confiance aux élus locaux pour « engager les changements imposés par le réchauffement climatique » contre 26 % pour les responsables nationaux.
Aujourd’hui, les collectivités agissent en remunicipalisant les biens communs (eau, énergie, transports en commun) face aux multinationales prédatrices. Pour aller au bout de ce mouvement, nous appelons à constitutionnaliser l’accès, et donc le droit, à ces biens communs.

CC : Malgré toutes les difficultés, les maires et élus locaux semblent encore avoir la confiance des citoyens mais se retrouvent souvent isolés. Comment la « Coop » peut-elle les aider et permettre de retisser des liens entre élus communistes ?
Dans certains territoires « délaissés », de banlieue, ruraux, d’outre-mer ou anciennement industrialisés, les services publics locaux sont les derniers recours des citoyens quand le commissariat, les guichets de la Caisse d’allocations familiales et de La Poste ont fermé. Les élus locaux, à l’écoute de nos concitoyens, sont donc tantôt à portée de joies sincères et de bonheurs partagés, tantôt d’engueulades et de crises. Quand une famille est jetée à la rue du jour au lendemain, le 115 ne répond plus. Mais les élues et élus, eux, sont là, parfois démunis mais toujours faiseurs de solutions.
Face aux difficultés que rencontrent les élus, notre Coopérative a commencé à tisser sa toile de solidarité des territoires, de formation et d’expertise à destination des élus. Une coopérative, c’est l’inverse d’un pouvoir descendant. Cela nous rassemble et nous ressemble. C’est une communauté de valeurs avec une ambition politique et des élus formés. Nous disons aux élus : « Venez comme vous êtes avec la réalité de votre territoire ! Inspirons-nous les uns des autres. » Ce nom a été choisi ainsi parce qu’une coopérative, c’est l’esprit d’égalité issue de la tradition ouvrière.

« Les conséquences de l’ouverture au marché de biens essentiels comme l’électricité et le gaz représentent une entrave essentielle à la liberté et à la capacité d’action des services publics locaux. »

Nous avons aussi mis en place des collectifs de travail, ouverts et aptes à constituer des groupes d’appui et d’expertise juridiques, techniques, administratifs, économiques, financiers, politiques, qui redescendront à travers les territoires comme des boîtes à outils du quotidien. C’est en cela que notre coopérative peut être utile.

CC : Les communistes sont encore une force importante, organisée et présente sur l’ensemble du territoire mais peut-on encore parler d’un « communisme municipal » ?
Notre coopérative des élus communistes, républicains et citoyens compte aujour­d’hui cinq mille membres. Elles et ils sont tantôt des élus de majorités à direction communiste (environ six cents maires communistes), tantôt des minorités au sein des majorités de gauche dans lesquelles ils sont de véritables influenceurs, tantôt au sein d’opposition à la droite, voire à l’extrême droite où ils représentent non seulement une opposition mais surtout une alternative de projets.
Par leur diversité de situation, et cela, dans des collectivités de taille très différente, tous ces élus sont utiles au peuple. Le sillon creusé par le communisme municipal constitue notre socle commun, avec ce qu’il incarne, d’une part comme outil utile pour gagner de nouveaux droits (le droit au logement, à la santé, au sport, à la culture, aux loisirs, aux vacances...), d’autre part comme le vecteur de nouvelles extensions de la démocratie, avec par exemple la maîtrise démocratique de biens communs. Nous pouvons aussi parler d’un municipalisme qui, bien au-delà du fait « français » du communisme municipal, a été consacré depuis vingt ans et depuis le forum de Porto Alegre.
Ce « municipalisme », nous sommes déjà attelés à sa construction. « La preuve du pudding, c’est qu’on le mange ».

CC : Encadrement des loyers, transport gratuit, maisons de santé, démocratie participative, les élus communistes font preuve d’imagination et de propositions concrètes. Comment valoriser ces différentes initiatives ?
Là où la crise de confiance et la crise démocratique n’ont jamais été aussi fortes, il nous appartient de valoriser nos expériences gagnantes et d’élaborer un récit positif à regagner. Le municipalisme aujourd’hui est ce nouveau récit concret. Face aux crises nouvelles, du covid à la crise énergétique en passant par les guerres nouvelles qui frappent notre planète (Kurdistan, Ukraine…) et à propos desquelles la diplomatie a joué un rôle majeur dans la solidarité avec les populations victimes, ce municipalisme a permis de déclencher un nouveau cycle d’expériences collectives d’une transformation sociale et écologique qui s’ancre dans des réalités politiques, sociales et urbaines à l’œuvre, tantôt endormies, tantôt en dynamique. Notre cadre institutionnel est national, mais notre action est locale et notre horizon international.
Apporter de la lisibilité à ces expériences, les fédérer dans ce mouvement commun du municipalisme, en constituer un récit positif, utile face aux crises et pour transformer le monde, voilà le rôle que peut jouer notre coopérative.

CC : En septembre prochain auront lieu les élections sénatoriales afin de renouveler la moitié des membres du Sénat. Que peut-on espérer de ces élections ?
Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste porte des propositions fortes pour les communes et pour donner des marges de manœuvre aux collectivités comme avec la proposition de loi pour protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie ou en proposant de revenir aux tarifs réglementés des prix de l’électricité et du gaz.
Notre groupe au Sénat est également connu et reconnu pour être force de travail malgré le nombre de nos sénateurs trop limité. Nos liens sont évidemment forts avec le groupe au Sénat et nous espérons gagner de nouveaux sénateurs et sénatrices, en Essonne, par exemple.

CC : Dans une tribune à L’Humanité en novembre dernier, vous déclariez que « les municipales de 2026 doivent sonner le tocsin pour le pouvoir pour les élections présidentielle et législatives de 2027 ». Que doit-on attendre de ces lointaines échéances ?
Nous avons collectivement un objectif en ligne de mire : les élections municipales de 2026 qui sont un défi pour notre famille politique. Pas seulement dans une stratégie défensive pour conserver nos villes, mais pour en gagner de nouvelles. J’appelle toutes celles et tous ceux qui sont dans l’opposition municipale à se mettre dans une logique d’alternance aux majorités de droite pour créer de nouvelles bases de solidarité et pour développer des politiques écologiques et sociales. Nous sommes également appelés à diriger de nouvelles municipalités à direction communiste et pour ce faire la coopérative peut être un point d’appui pour de nombreux élus qui sur le territoire peuvent être isolés dans cette optique de conquête ou de reconquête.
D’un autre côté, nous observons ce qui se passe ou ce qui s’est passé à l’étranger. Les villes rebelles en Espagne, avec leurs plates-formes citoyennes municipalistes, ont constitué un nouveau modèle de gouvernement local sous contrôle citoyen transparent et participatif pour lancer des politiques justes, émancipatrices et redistributives et ainsi affronter les crises économiques et politiques.
Leur gouvernance a été pensée comme une convergence des mouvements sociaux des « indignés » avec les partis. Partout dans le monde, les nouvelles dynamiques citoyennes (manifestations étudiantes au Chili…) puis les expériences d’exercice du pouvoir à l’échelle locale ont précédé et ont permis la prise de pouvoir des mouvements de transformation sociale à l’échelle nationale.
Les victoires locales en 2026 peuvent ainsi précéder et nourrir une victoire nationale en 2027. 

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